Beaucoup trop souvent, les gens oublient de ne pas savoir. – Richard Bendler
J’ai lu cette phrase dans le livre un cerveau pour changer et je ne pouvais qu’acquiescer. Dans la société de performance dans laquelle nous vivons, savoir est important. C’est souvent l’ultime but.
Les experts pleuvent, nous valorisons la connaissance et l’accomplissement. C’est que lorsque nous atteignons un certain degré de savoir, nous avons le droit à un « titre » ou un diplôme. Voilà la preuve tangible de notre compétence.
Maîtres, docteurs et experts de toutes sortes, la connaissance nous rassure. Parce que savoir, c’est être à l’opposer du néant. Du vide.
C’est sûrement pour cette raison que nous tolérons difficilement les réponses du genre « je ne sais pas » venant de nos politiciens, enseignants, dirigeants, leaders, médecins et spécialistes, peut-être encore plus de notre entourage proche. Avouer ne pas savoir, c’est un peu comme d’admettre au grand jour que nous ne sommes pas aussi « hot » que notre titre le laisse paraître.
Et pourtant…
Nous en savons si peu, mais nous oublions que nous ne savons pas. Ça nous donne trop l’impression d’être vulnérables, complètement dépourvus face à l’inconnue. La confiance qu’apporte la connaissance est beaucoup plus confortable.
C’est pourquoi nous mettons beaucoup d’effort pour connaître nos amis, notre conjoint, nos enfants, notre famille, nos collègues. Nous pensons même nous connaître! Nous avons d’ailleurs droit à une tonne de livres en librairies qui nous propose divers exercices et réflexions pour découvrir qui nous sommes réellement.
« Je suis ENFJ, ennéagramme 3-5 et 9, j’ai une personnalité plus tintin, ma plus grande peur est XYZ » et ainsi de suite. Les tests de personnalité pleuvent, nous donnant l’impression qu’enfin nous allons nous trouver et que nous pourrons cesser de chercher.
Toujours cette peur du vide. Nous avons d’ailleurs pris l’habitude de catégoriser un peu tout: nous, les autres, nos relations, nos régimes alimentaires, notre orientation sexuelle…C’est sécurisant de savoir qui nous sommes, qui est l’autre, comment nous fonctionnons. Autant d’étiquettes qui nous disent « je sais ».
Derrière le « qu’est-ce que tu fais dans la vie » se cache « qui es-tu » « je veux savoir ».
Sans s’en rendre compte, notre société nous dicte encore nos grandes lignes de conduite: vous serez beaucoup plus heureux dans un métier qui vous fait travailler du lundi au vendredi, de 9h à 17h, en couple avec deux enfants, propriétaire d’une maison et d’au moins une voiture (électrique c’est mieux), avec assez d’amis pour faire régulièrement des partys les samedis dans votre cours autour de la piscine.
Notre société est (malheureusement) encore construite comme ça. Rien de mal à suivre cette ligne, mais c’est peut-être pour cette raison que nous tombons dans le néant lorsque nous sentons que ces modèles ne nous correspond pas.
Alors nous ne savons plus. Nous nous sentons complètement perdus. À moins que ce soit une perte d’emploi qui nous plonge dans ce monde de « je ne sais pas »? Ou une séparation, une maladie, un décès? Chaque grand changement apporte son lot d’inconnus et nous ne sommes pas entraînés à « ne pas savoir ».
Pourquoi ne pas cultiver cet état du « je ne sais pas » et s’en faire un allié?
Partons du principe que le changement est inévitable, omniprésent et que donc, tout ce que vous pensez savoir en ce moment est peut-être complètement dépassé ou erroné. Qu’est-ce que cette condition de ne pas savoir vous permet de découvrir de nouveau, dans votre travail par exemple?
C’est personnellement grâce à cet état d’esprit que je réussis à garder ma flamme active dans mon métier de musicienne. Sinon, qu’est-ce qu’il y aurait de réellement excitant à jouer d’un instrument que je maîtrise depuis plusieurs années pour interpréter des notes alignées sur une feuille qu’il m’est possible de déchiffrer en très peu de temps et que j’ai même déjà jouer plusieurs fois?
C’est la routine. J’aime mieux me demander de quelle façon je pourrais améliorer mon son, ma projection, ma fluidité, mon style musical, ma personnalité, etc. Parce qu’au fond, je n’en sais peut-être rien!!!
Se placer dans les souliers du débutant, un peu chaque jour.
C’est si agréable les débuts. Un tout nouveau bébé, un nouveau chum, un nouvel ami, un nouveau travail, un nouveau quartier…puis le temps passe et la routine s’installe. On se demande où est passé ce je ne sais quoi qui animait notre flamme. On à l’impression de tout connaître, on fonctionne sur le pilote automatique, il n’y a plus de mystère et on oublie que finalement, on ne sait pas.
Qui sont réellement ces personnes avec qui je partage ma vie? Si je rencontrais cette personne qui se trouve devant moi pour la première fois, qu’est-ce que je percevrais? Comme je suis différente d’hier et que l’autre l’est également, qu’est-ce qui se présente à moi, à nous, que nous ne savons pas encore, maintenant?
Au fond, s’il y a autant de choses que je ne connais pas, il n’y a plus de crainte à ne pas savoir. Je peux être constamment dans cet état et prendre plaisir, jour après jour, à découvrir ce que la vie me réserve de neuf. Particulièrement dans tout ce qui me semble le plus connu.