L’inconnu
Bête horrible qui semble nous retrancher dans les coins les plus sombres de notre être. C’est le Monstre qui dérobe tout sous nos pieds, qui mâchouille nos rêves, qui souille nos efforts. À quoi bon continuer si je n’ai pas la certitude que ce que je mets en place verra le jour?
Ce n’est pas surprenant que beaucoup de nos mécanismes nous fassent fuir l’inconnu. On minimise ainsi les surprises, les échecs, les faux pas tout en augmentant nos chances d’atteindre nos objectifs. On évite par le fait même de se tromper, d’être déçu, d’avoir mal. Il y a beaucoup d’avantages à rester en terrain familier.
La bête est certes repoussante et je l’ai combattu longtemps. J’ai cru que pour pouvoir arriver à un résultat précis, mieux valait planifier et définir le plus possible. C’est ce qu’on m’a appris. Que plus on contrôle, mieux c’est. L’esprit de la performance appelle justement ce genre de raisonnement. On arrive à un résultat par le travail, la maîtrise, la discipline et la constance.
J’ai commencé à aimer le Monstre le jour où j’ai pris conscience que tout est fait d’inconnu. Je ne sais rien.
Chaque seconde est unique, nouvelle, se redessine sans cesse. Elle ne devient connue qu’au moment où elle passe. Et encore. On peut bien toucher ce qui se passe en nous, l’instant de notre voisin nous restera hors d’atteinte.
C’est sur cette fine ligne que se joue la véritable bataille de la performance. Entre le connu et l’inconnu, entre le contrôle et le lâcher-prise.
C’est ici qu’il est possible de transformer le guerrier en magicien, le performeur en artiste. C’est de cet endroit qu’il est possible de reprendre le pouvoir, à la frontière de l’inconnu.
Je me souviens être face à ce gouffre, la panique au ventre. Assise sur le seuil, je pensais qu’il me faudrait sauter alors qu’il n’en était rien. Il me suffisait de rester là bien assise. (J’en parle comme si c’était du passé, mais ça m’arrive encore très souvent hahaha).
C’est magnifique comme paradoxe lorsqu’on y pense. Si on saute dans le vide, ce dernier devient automatiquement connu et il n’a plus lieu d’être. L’inconnu existe pourtant bel et bien, mais pas comme une bête à abattre. Au lieu de l’ignorer en lui tournant le dos et de vouloir le contrôler à grand coup de chaînes, on peut choisir de le regarder droit dans les yeux.
Depuis que j’ai réalisé qu’il n’y avait rien à combattre, je joue. Par la créativité, par l’écriture, par la danse, par des défis, en connectant à ma vulnérabilité ou en entrant en relation avec d’autres êtres humains.
Les deux pieds bien ancrés, je peux enfin rencontrer la bête, la reconnaître, jouer avec elle. Me rendre compte que l’attaque n’a pas lieu quand je baisse les armes. Qu’il n’y a pas de danger.
L’inconnu n’est au fond que l’instant suivant qui n’a pas encore eu lieu.
Ces mots résonnent dans ma tête:
Ce que je connais de ce monde existe grâce aux lunettes que je porte. Ce que je crois sur moi, sur les autres, sur la vie, n’est qu’une construction. Cette histoire est aujourd’hui MA Vérité. Je l’honore et je la respect parce qu’elle fait de moi qui je suis. Mon histoire s’écrit à chaque instant et je ne peux connaître la suite avant d’y être rendu. Alors, pourquoi m’en faire?
Ce que les autres me racontent est leur Vérité du moment. Je la respecte. Ils auront demain une nouvelle Vérité et je m’engage à demeurer curieuse de la découvrir et l’accueillir avec respect et ouverture. Eux-mêmes ne la connaissent pas. Chercher à prévoir cette Vérité est une quête illusoire. Alors, pourquoi m’en faire?
Ce qui m’a été caché volontairement ou involontairement par le passé appartient au passé. Tout ceci était attaché à une Vérité certainement désuète aujourd’hui. En prendre connaissance m’informerait sans modifier l’instant présent. Je n’ai pas besoin de tout savoir. Si cette Vérité refait surface, je m’engage à la bénir puisqu’elle est une des pierres de ce que nous avons bâtis tous ensemble. Je respecterai ce dont j’ai maintenant conscience, comme on prend soin des fondations d’une maison. Ce qui est fait est fait. Aujourd’hui, tout est en construction. Alors, pourquoi m’en faire?
Ce qui se passera pour moi, mon entourage ou le Monde dans le futur m’est inconnu. Je ne peux connaître que le moment où je me trouve. Dans l’instant, je connecte à ce qui est réellement important pour moi. J’écoute MA Vérité, ici et maintenant. Je respect ce qui est vrai en moi et je laisse aux soins de l’Univers de m’offrir ma prochaine Vérité, tel un cadeau. D’ici là, pourquoi m’en faire?
Tout est parfait.