J’ai une boule dans l’estomac et je me demande ce qu’elle y fait.

Elle est arrivée à l’improviste à la fin d’une journée d’audition à laquelle je ne participais même pas. Je n’y étais pas non plus comme membre du jury, mais simplement comme représentante du comité des musiciens.

Rien de très demandant donc: seulement voir au respect des règles d’auditions et servir de lien entre les candidats et les membres du jury afin de conserver l’anonymat des participants (l’audition se fait derrière panneaux).

J’aime beaucoup ce rôle que je vois un peu comme celui d’un ange gardien. Je sais comment ce processus peut être difficile et j’aime penser que mes quelques sourires bienveillants et mes plus belles pensées peuvent faire une différence en créant un climat plus agréable pour ces musiciens.

Bref, j’adore ces journées. Alors, pourquoi cette boule dans mon ventre?

Je l’ai prise doucement dans mes mains et je l’ai regardé en plein visage…elle avait si peur cette petite boule! J’ai mis un moment avant de réaliser que c’était le doute qui commençait à s’installer, la crainte d’être « passé date ».

Après avoir assisté à autant d’auditions, je ne peux nier les évidences: ce sont souvent les jeunes qui passent les étapes et se rendent en finale (lire moins de 25-30 ans). Ce fut le cas lors de cette audition et le mien à l’époque…mais aujourd’hui je n’ai plus 25 ans, ni même 30.

Alors forcément, je me questionne. Qu’est-ce qui fait qu’un musicien va se rendre en finale et un autre non? Est-ce que l’âge a véritablement une influence sur le résultat et sur la performance en audition? Alors que l’expérience devrait nous aider, finit-elle par nuire dans ce genre d’acrobatie musicale?

Beaucoup de questions et peu de réponses malheureusement. Peut-être quelques hypothèses, mais comment savoir réellement ce qui fait la différence?

La seule chose que je sais pour l’instant, c’est que cette boule prend automatiquement de l’ampleur lorsque je pense à ces jeunes qui réussissent et que je songe à mes deux dernières auditions où j’étais loin d’être la saveur du jour…

Puis la boule s’intensifie lorsque je repense à notre directeur artistique qui raconte que c’est un jeune de 20 ans qui a gagné l’audition de piccolo à Philadelphie il y a quelques semaines.

Je ne fais que me dire que j’ai bien fait de ne pas y aller, de ne pas avoir mis temps et argent pour me rendre là bas…à quoi bon de toute façon? Puis-je vraiment compétitionner contre des talents frais de deux décennies?

OK, d’accord. L’âge a peut-être son influence. Et après?

Parce que j’arrive également à la conclusion que pour la plupart, les musiciens sont bien préparés et que tout se joue dans les détails. J’entends très rarement des « anti-performances ». Alors, où est la réelle différence et quel lien avec l’âge?

Mon hypothèse, c’est la peur.

Les jeunes semblent avoir moins peur. Ça se voit dans leur corps, ça s’entend dans leur jeu. Et quand j’y pense, j’étais pareil à l’époque!

La peur, je ne l’avais pas. Je ne craignais pas le résultat, je ne pensais pas à l’échec. Une « mauvaise » audition n’était qu’une mine d’informations pour la prochaine. Tout ça s’inscrivait dans le Grand plan où, « un jour », j’allais faire ce métier de musicien d’orchestre.

Pas d’urgence, pas de réelles attentes. Le tout protégé par l’anonymat et l’intensité du milieu scolaire. Contexte idéal pour performer, non?

Avec les années, c’est comme si les doutes accumulés, les rêves inachevés et les attentes non identifiées avaient pris racine en silence, sans bruit, sans grande manifestation. Elles ont poussé, grandis.

Puis lorsqu’arrive une audition, ces plantes carnivores fleurissent d’un coup, révélant au grand jour ce qui se tramait depuis des années.

Finalement, ce n’est peut-être pas tant l’âge qui influence que ce miroir grossissant que sont ces moments de haute performance. Et si ce n’était pas l’âge qui faisait la différence, mais plutôt ce qu’on apporte dans la salle d’audition?

La jeune vingtaine exploite bien ce lot d’innocence rafraîchissante qui, jumelé à un certain talent et une grande rigueur, arrive facilement à plaire à un jury. Mais cette fraîcheur libre de (presque toute) peur est loin d’être en elle-même un billet vers la réussite.

J’ai déjà entendu l’expérience l’emporter sur la jeunesse, de même que la sensibilité et la maturité musicale. La force et la solidité sont aussi généralement bien reçues. Bref, j’en viens à me demander: qu’est-ce que j’apporte avec moi lorsque je joue de mon instrument? Qu’ai-je le goût d’apporter avec moi lors de ma prochaine audition?

La boule dans mon ventre me cris peurs, doutes, hésitations, questionnements, imposteur, prudence, inquiétudes, frustrations et compagnie.

Pourtant, j’ai envie de joie, d’amour, de sensibilité, de douceur, de force, d’enthousiasme, de passion, de beauté, de partage, de connexion et j’en passe!

Et si cette sagesse et cette connaissance avaient, elles aussi, leurs influences dans le jeu de la performance? Et s’il était possible de laisser toutes ces peurs à la porte quand vient le temps de sauter dans l’arène?

Et si connecté à la bonne place, l’âge n’avait plus aucune importance?

Aucune idée si cette hypothèse est vraie, mais j’ai sincèrement envie d’y croire.

 

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