Je ne veux pas qu’on me voie.
En fait, ce n’est pas tout à fait vrai. Je veux tellement qu’on me voie, mais pas trop. Du coin de l’oeil peut-être. Comme c’est paradoxal!
Tout ce que je fais depuis que je suis toute petite me lance en plein visage cette contradiction et pourtant, je n’ai pris conscience de son ampleur que tout récemment.
La vie est tout de même bien faite. C’est comme si toutes mes expériences, mes apprentissages, mes rencontres et mes prises de conscience m’auront amené à ce moment précis pour réaliser que je faisais tout pour ne pas être vu alors que je le souhaitais tant.
Tant d’années pour réaliser une chose si évidente.
Mes plus vieux souvenirs font justement état de ça. La petite pièce de théâtre monté à la maternelle, avec des marionnettes. J’avais été choisi pour faire le personnage principal, quel honneur! Et en même temps, une certaine gêne d’avoir été choisi parmi tous mes amis pour jouer ce rôle. Pourquoi moi?
Puis tous ces moments où j’ai pu « briller »: un petit défilé de mode où j’ai paradé fièrement avec un habit style safari, la fois où mon professeur de musique m’a donné la possibilité de montrer à ma classe une nouvelle pièce parce que je l’avais apprise seule à la maison.
Chaque fois cette sensation d’être unique, spéciale et apprécié et pourtant la même question qui revient. À la fois un désir d’être vu et une incompréhension lorsqu’on me plaçait à l’avant. Et de plus en plus, ce malaise…pourquoi moi?
Puis j’ai décidé au secondaire de jouer du piccolo pour laisser toute la place aux autres excellentes flûtistes de mon année tout en étant vu, reconnu et entendu. Une façon d’être entendu sans « voler » la place à personne (il n’y a qu’un piccolo par ensemble). Oui être vu, mais dans les bonnes conditions tout de même!
S’engager ensuite dans l’association étudiante de l’école parce que je souhaitais apprendre à me positionner et être élue présidente. C’était pas prévu ça, devenir le porte-parole des élèves. Se retrouver encore une fois à l’avant, sans comprendre comment ni pourquoi tout ça est réellement arrivé. Pourquoi moi?
Puis à la première audition, se retrouver première flûte d’un « vrai » orchestre. Comment est-ce possible! Pourquoi moi??? C’est probablement un des moments charnières de ma vie. Ce moment où on m’a dit « nous te voyons » et que la seule chose que j’ai eu envie de faire c’est partir à la course.
J’ai été démasqué, on m’a vu. On m’a surtout beaucoup trop vu ou beaucoup trop vite. Je ne sais pas. Tout ça pour dire qu’à partir de ce moment j’ai tout fait pour me cacher. Encore plus.
Être bonne, mais pas trop. Être à l’avant, mais en restant discrète. Donner mon opinion, mais seulement lorsque je sais que ce sera bien reçu. Parler de moi…non, pas parlé de moi. De ce que je fais peut-être, mais pas de moi.
Être vu, mais seulement du coin de l’oeil SVP. Surtout pas plus.
Difficile de supporter les regards lorsqu’on se demande ce qu’on fait à l’avant. Et pourtant, prendre un réel plaisir à y être. Ma vie n’est faite que de ça…contradiction quand tu nous tiens.
J’ai maintenant le goût de me dire « va te faire voir », dans le bon sens bien sûr, et accepter de briller.
Le reste (les jugements, les opinions, les commentaires peu constructifs, les attaques, etc), ça ne m’appartient plus. Ce sera au Monde de décider ce qu’ils feront et ce qu’ils penseront après m’avoir vu.
Complètement, simplement et sans artifice. Parce que même lorsque je me cachais, on me voyait! Quel intérêt alors à continuer? À dépenser tellement d’énergie à contrôler une image qui ne m’appartient même pas?
Il est temps de simplement être là, sans rien faire. Et de dire, « voilà, je suis arrivée. »
Tout est OK. Je suis OK. C’est bien assez. Voilà, regardez. Tout ça est bien suffisant.
Le reste, vous en ferez ce que vous voulez. Ce bout-là vous appartient.